Le Mont Blanc. Ce nom résonne comme un mythe pour la plupart des gens. Pourtant, pour un alpiniste ayant acquis
de bonnes bases, ce sommet n'a rien d'inaccessible. D'une façon bien moins héroïque que Paccard et Balmat
en 1786, partons nous aussi à la conquête de ce sommet majestueux.
Mise en garde
Etant donné le caractère "spécial" du sommet dont il est question dans cette page, je commence par une petite
mise en garde. Je décris ici l'itinéraire de la voie normale du Goûter. Techniquement, c'est
l'itinéraire le plus facile pour accéder au sommet, et c'est pour cette raison que c'est également le plus
fréquenté. Mais l'itinéraire n'en reste pas moins une course d'alpinisme cotée PD (peu difficile). Tout le
monde ne cesse de le répéter : ce n'est pas une randonnée, pourtant encore beaucoup trop de gens s'y
engagent sans avoir le niveau technique ou sans avoir conscience de ce qu'ils s'apprêtent à faire.
Commencer l'alpinisme par le Mont Blanc est (selon moi) une très mauvaise idée, mais je ne pense pas que
"les vrais alpinistes" s'y prennent ainsi. S'attaquer directement au Mont Blanc est typique de cette
catégorie de personnes qui n'ont jamais vu de crampons avant le Mont Blanc et n'en reverront jamais après.
"Faire le Mont Blanc" fait juste partie de leur liste des choses à faire avant de mourir, entre "sauter à
l'élastique" et "conduire une Ferrari". Le principal plaisir qu'ils tireront de cette ascension ne sera pas
celui de s'être levé tôt pour se dépasser, dans le froid et dans la nuit, à plus de 4000 mètres d'altitude,
pour avoir la satisfaction purement personnelle de se dire "je l'ai fait". Non, pour eux, le plaisir viendra
de l'admiration qu'ils verront naître dans les yeux de leurs collègues qui n'ont jamais mis le pied à la
montagne, lorsqu'ils feront le récit de leur ascension autour de la machine à café. Le Mont Blanc ne leur sera
finalement qu'un moyen parmi tant d'autres de se faire remarquer, de "briller en société". Ils omettront par
contre soigneusement de raconter comment leur guide a dû leur mettre leurs crampons comme l'on fait les lacets
d'un enfant, ou comment ils auront gracieusement passé les arêtes à quatre pattes. La voie normale du
Mont Blanc, qui est relativement facile pour un alpiniste confirmé, ne doit pas être entreprise par n'importe
qui : il faut savoir attendre d'être prêt.
C'est à cause de toute cette folie que le sommet peut véhiculer une mauvaise image dans le milieu
de l'alpinisme. "Mont Blanc" est presque devenu un label qu'il faut s'approprier à tout prix : il n'y a qu'à
voir comment les dossards des sous-courses de l'UTMB s'arrachent, alors que pour une écrasante majorité des
trails en montagne, des dossards sont encore disponibles le jour du départ. Le problème est d'ailleurs le
même, une trop grande partie des coureurs font leur tout premier trail sur ces courses. Revenons-en à
l'alpinisme : pour un "vrai alpiniste" (j'explique un peu plus loin ce que j'entends par "vrai alpiniste"),
il est impossible de nier que le Mont Blanc est un sommet particulier et qu'un jour ou l'autre il faudra s'y
frotter. Cependant, en voyant toutes les polémiques à propos de ce sommet, comment ne pas se sentir coupable
de vouloir y monter soi aussi ? Cette question m'a beaucoup tracassé, mais je pense finalement avoir trouvé
une réponse qui me satisfaisait et j'ai ainsi pu me lancer.
Comment donc savoir si l'on "mérite" de gravir le Mont Blanc ou non ? (Cette formulation est très maladroite,
je l'admets !) Au départ, difficile de ne pas essayer d'obtenir des réponses rapides et simples : "untel
l'a fait et j'ai plus d'expérience en montagne que lui, donc pourquoi pas moi ?". Mais dans le fond, il
est difficile de se satisfaire de cette réponse ... Si untel fait partie de ces touristes consommateurs de
Mont Blanc, comment être sûr de ne pas en être un soi aussi ? Etre moins pire que mal ne garantie pas d'être
bien. J'avais cette impression que, pour que le Mont Blanc reste beau, il devait n'être abordé que par de
"vrais alpinistes" (comme cela se passe pour tous les autres sommets dont ne nom ne fait pas rêver les
citadins pantouflards : difficile de rouler des mécaniques à la machine à café en disant que l'on a gravi
le Pic de la Moulinière ou
le Pic du Thabor ...). Mais alors, qu'est-ce qu'un
"vrai alpiniste" ? Comment entrer dans ce cercle très fermé ?
Faut-il avoir un niveau de folie et s'appeler Reinhold Messner, Ueli Steck ou Edward Whymper ? Une fois de
plus c'est une réponse trop facile qui n'en est pas une. Etre un vrai alpiniste nécessiterai d'être un bon
alpiniste ... Ca n'a pas de sens. Comme si pour prendre rendez-vous chez un médecin, il fallait impérativement
être déjà client chez ce dernier. Non ça n'a vraiment ... Ah oups ! Très mauvais exemple ! :P Mais alors,
qu'est-ce donc qu'un vrai alpiniste ? Je cherchais une vrai réponse, pas un simple dédouanement qui me
permettrait de me faire croire à moi-même que "le problème c'est les autres, moi je suis différent" et
allez hop c'est parti, on grimpe !
A force d'y penser, les réponses ont fini par arriver petit à petit. Un vrai alpiniste aime la montagne
"pour la montagne" et non pour ce qu'elle peut lui apporter pour sa gloire personnelle. Il ne se dit pas
"vivement la fin de cette merde que je puisse aller raconter comment j'ai été héroïque". C'est lorsqu'il vit
sa course que le vrai alpiniste prend du plaisir. C'est le fait d'être à la montagne qui le satisfait, et
c'est pour cette raison que le "vrai alpiniste" la respecte. Plutôt que de râler en voyant un papier
de gâteau par terre, sans pour autant le ramasser, le "vrai alpiniste", lui, va se baisser silencieusement
pour le glisser dans sa poche.
Après ce premier élément de réponse, la suite est venue naturellement. Si un vrai alpiniste n'est pas
nécessairement techniquement très bon, il doit par contre savoir où se situent ses limites. S'engager dans
une course dans laquelle on risque de nuire à la sécurité de la cordée est, dans le meilleur des cas, une
belle démonstration d'égoïsme ...
Après réflexion, je ne pensais pas être l'un de ces "consommateurs de Mont Blanc", la montagne étant une
véritable passion pour moi. Pour ce qui était du niveau technique requis, la lecture des multiples topos que
l'on trouve un peu partout sur Internet ne m'avait rien révélé qui me semblait insurmontable.
Il me semblait donc que, d'après des critères objectifs, je pouvais faire le Mont Blanc sans que l'on pense
de moi "Non mais il n'a rien à faire ici ce gland !". Mais pour une première, le statut de ce sommet
mythique m'impressionnant, je ne voulais pas m'y aventurer en autonomie. J'ai donc refait appel à Jonathan,
puisqu'il avait su mieux que moi ce dont j'étais capable
à la Barre des Ecrins. Je diminuais ainsi au
maximum mes chances d'être le prochain gros titre "Encore un alpiniste victime de son inexpérience au
Mont Blanc".
Après cette longue réflexion philosophique sur si oui ou non on "peut" faire le Mont Blanc, je me dois
également de parler un peu de Couloir du Goûter. La réputation du "Couloir de la Mort" n'est plus à faire,
mais cette page serait incomplète si je n'en parlais pas. J'ai pu constater que sa dangerosité n'était pas
une légende. Nous y sommes passés les 7 et 8 Juillet 2017, le couloir était déjà sec et donc forcément, plus
rien ne retenait les pierres. A l'aller, comme au retour, il faut bien observer le couloir avant de s'y
engager, et attendre que les chutes de pierres cessent. A l'aller seuls quelques petites pierres tombaient.
Au retour, durant toute la descente le couloir a été plutôt tranquille, mais juste avant la traversée, des
énormes rocher se sont mis à tomber. Il a fallu bien observer et attendre avant de passer.
Dernière précision, le Mont Blanc est souvent présenté comme le plus haut sommet d'Europe, mais c'est faux.
Ce titre revient au Mont Elbrouz (5642 m), dans le Caucase, en Russie. Bon allez, trêve de bavardages,
c'est parti !
Première approche
Au départ de Saint-Gervais-les-Bains, on va commencer en douceur en prenant le Tramway du Mont Blanc
jusqu'à son terminus, au Nid d'Aigle (2372 m). On attaquera alors la montée sous les Rognes, jusqu'à la
Baraque Forestière des Rognes, avant de monter au Glacier de Tête Rousse par une arête qui met dans
l'ambiance. On se trouvera alors au pied du Couloir du Goûter, qu'il faudra traverser avec grande
précaution, avant de remonter le long de ce dernier en direction de l'ancien Refuge du Goûter.
Il ne restera alors plus que quelques minutes de marche pour atteindre le nouveau Refuge du Goûter,
point final du premier jour d'ascension. Après une bonne grosse nuit de sommeil (haha !) et un réveil à
1h30 du matin, on se lancera à l'assaut du sommet par la voie normale : Dôme du Goûter, Col du Dôme,
Observatoire et Refuge Vallot, Arête des Bosses et enfin, sommet du Mont Blanc ! Le retour s'effectuera
par le même itinéraire, mais on redescendra d'une traite à Saint-Gervais.
Itinéraire à suivre
Bon et bien cette fois on y est, c'est le grand jour ! Tous les alpiniste y sont passés ou y
passeront une jour, aujourd'hui, c'est mon tour ! Rendez-vous est pris avec Jonathan à la gare de
Saint-Gervais. Pour passer le Couloir du Goûter le plus tôt possible, quand la chaleur du jour n'a pas
encore fait fondre le peu de maintien qui subsiste, il faut prendre le premier train, celui de 7h20. En
partant de Valloire, il a donc fallu se lever à 4h00 ... Avec le lever du lendemain à 1h30, ça promettait
d'être sympathique ! En arrivant sur place, j'apprendrai finalement que Jonathan est venu de Gap et qu'il
s'est levé à 2h30. Dur dur la vie de guide !
On monte donc dans le Tramway du Mont Blanc, avec son gros sac, plein de tout le matériel d'alpinisme
nécessaire (piolet, crampons, ... je ne vais pas refaire la liste complète). Le petit train monte tout
doucement (vraiment touuuuuuuut doucement) vers le Nid d'Aigle, en faisant de nombreux arrêts.
Juste avant d'arriver à la gare du Col de Voza, on a une superbe vue sur le Mont Blanc.
Le premier train ne dépose pratiquement que des alpinistes au Nid d'Aigle. Pour le début de l'itinéraire, il
suffit donc de suivre le flot, en se dirigeant vers le Refuge du Nid d'Aigle, puis en bifurquant assez
rapidement sur la gauche pour prendre le chemin qui monte, juste en dessous des Rognes.
Après environ 400 mètres de dénivelé, on arrive à un replat où se trouve la Baraque Forestière des Rognes
(pas la peine de chercher la forêt, elle se nomme comme ça, c'est tout !). Au niveau de ce replat, le
sentier tourne vers la droite pour aller rejoindre l'arête qui mène au Glacier de Tête Rousse. Dans ce
secteur on croise beaucoup de bouquetins.
C'est également à ce niveau que l'on commence à avoir une belle vue sur les montagnes qui nous entourent.
Etant donné qu'il y avait un petit nuage juste sur le sommet, il n'y aura pas de tour d'horizon
photographique depuis le sommet et je vais donc présenter ce que l'on voit maintenant. Passez votre souris
sur le nom d'une montagne dans la description d'une photo pour la voir entourée sur la photo correspondante.
Après cet échantillon de vue qui sera amélioré lors d'une prochaine ascension du Mont Blanc,
on reprend notre ascension vers le Glacier de Tête Rousse. Le chemin serpente sur l'arête et se
fait de plus en plus aérien à mesure que l'on monte (sans être vraiment impressionnant non plus).
Une fois que l'on a remonté l'arête, on arrive sur le Glacier de Tête Rousse. De l'autre côté de ce dernier
se trouve le Refuge de Tête Rousse, vers lequel on va se diriger avant de tourner vers la gauche pour
traverser le camp de base de Tête Rousse. On arrive ainsi au pied de la difficulté du jour :
le Couloir du Goûter.
Depuis le camp de base de Tête Rousse, on remonte une courte pente en neige puis on arrive au "passage
pas cool" de l'itinéraire : la traversée du Couloir du Goûter. Globalement, on reste à l'abri, derrière
l'arête qui délimite le début du couloir, en observation. Quand les pierres ne tombent pas, on se lance :
vite car il ne faut pas traîner, mais pas trop, car une chute à cet endroit serait fatale. La traversée ne
fait qu'une cinquantaine de mètres, ca peut sembler court dit comme ça, mais si l'on vient de voir une salve
de pierres dévaler la pente, ces cinquante mètres paraissent bien longs. Une fois la traversée finie, on se
met de nouveau à l'abri, derrière l'arête qui délimite l'autre côté du couloir.
Une fois sur l'arête de l'autre côté du Couloir du Goûter, on la remonte alors jusqu'à son sommet, où
se trouve l'ancien Refuge du Goûter. Plus on remonte cette arête, plus elle devient aérienne. Vers le
sommet, il y a des câbles pour se tenir. Ces câbles présentent deux gros inconvénients selon moi :
premièrement, même si l'on ne veut pas s'en servir, ils tombent toujours sous la main quand on veut
s'appuyer ou se tenir quelque part (en même temps, ils n'allaient pas les installer au niveau des pieds
ou à 3 mètres de haut ...) et deuxièmement, pourquoi voudrait-on se tenir à des câbles complètement
effilochés qui nous labourent les mains ? Finalement, sans même avancer l'argument comme quoi leur présence
fait perdre de son authenticité à l'ascension, ces câbles sont un problème. Il vient forcément un moment où,
par inadvertance on saisit un câble et presque systématiquement c'est la punition !
Une fois à l'ancien Refuge du Goûter, il n'y a plus qu'à remonter sur l'arête de neige au-dessus de nous
pour rejoindre le nouveau Refuge du Goûter, qui se trouve environ 250 mètres plus loin (de toute façon on ne
peut pas le manquer). La quinzaine de mètres qui sépare l'ancien Refuge du Goûter de l'arête est assez
glissante sans crampons, mais une corde permet de se tenir. Sinon, il est également possible de chausser les
crampons pour les dernières minutes de l'itinéraire (dans le cas où le Couloir du Goûter était sec et qu'ils
n'ont pas été utiles avant).
Avant de rejoindre le refuge, il faut absolument jeter un coup d'œil en direction de l'Aiguille du Midi
et des autres sommets mythiques du Massif du Mont Blanc.
Une fois sur la terrasse extérieure du refuge, on a une belle vue sur l'ancien Refuge du Goûter ainsi que
sur la montée que l'on vient de faire par l'arête du Goûter.
Une fois au Refuge du Goûter, il n'y a plus grand chose à faire à part se reposer pour le lendemain.
Nous avons mis environ 3h45 pour monter depuis le Nid d'Aigle et le train met lui-même 1h15 depuis
Saint-Gervais. Cela fait donc environ 5h de montée depuis Saint-Gervais. En arrivant vers 12h20,
le temps n'a pas été si dur que ça à tuer : un petit plat de pâtes à la carbonara, puis, après un peu
de blablas, direction le lit pour se coucher. De 14h à 18h, j'ai tenté de prendre un peu d'avance sur
le sommeil de la nuit suivante. Je n'ai pas vraiment dormi, mais je me suis bien reposé. Ensuite,
le repas est servi à 18h30. Il y a du rabe, ce qui est plutôt bienvenu quand on a gros appétit !
Durant le repas, un ami de Jonathan, guide lui aussi, est venu lui parler. Il était surnommé "le Kurde".
En demandant pourquoi, on m'a expliqué que c'était parce qu'il faisait des courses très engagées.
La veille de commencer la rédaction de cette page, je suis tombé sur un article du
Dauphiné Libéré : trois français venaient d'ouvrir une voie en face Sud du Nuptse (7861 m, au Népal,
pas une montagne de rigolo !). Parmi ces trois français figurait "le Kurde" ! Aux vues de la description
de la voie qu'il avait ouvert, le Kurde méritait bien son surnom !
Après ce repas, au dodo pour une courte nuit. Il me semble avoir dormi de 21h à 1h30, ce qui fait tout de
même 5h30 de sommeil. C'est n'est pas énorme mais c'est loin d'être une micro-nuit. Et avec ce que je
m'étais reposé avant, je me sentais en pleine forme. Les lits sont plutôt bien faits, avec des petites
parois en bois au niveau du visage, pour ne pas dormir le nez dans son voisin. La sensation d'intimité
est relativement bonne (pour un refuge). La literie est également plutôt confortable et les couettes
sont bonnes et ne grattent pas ! J'avais peur que ma nuit soit un véritable calvaire, comme au
Refuge des Ecrins où je n'avais pas dormi de la nuit. Il faut dire que cette fois-ci, le refuge n'était
pas en proie à une véritable tempête et contrairement à
la Barre des Ecrins, le Mont Blanc n'était pas
l'objet d'une "fascination-peur" depuis tout petit.
Le petit-déjeuner est servi à 2h. Tout le monde
attendait à l'entrée. Je ne sais pas trop comment, mais je me faufilais entre les gens en revenant du
vestiaire en bas où j'avais déposé mon sac tout prêt, pour remonter attendre au dortoir, lorsqu'ils ont
ouvert les portes de la salle du petit-déjeuner juste au moment où je passais devant. Je me suis donc
retrouvé dans les premiers servis alors que certains on fait la queue plus de 20 minutes. Après un bon
petit-déjeuner de refuge (sommaire mais copieux), nous sommes allés nous préparer pour l'ascension.
Une fois équipés (crampons, baudrier, corde, ...), nous sommes partis. Il était 2h40 du matin. En bas,
dans la vallée, les lumières de Saint-Gervais et de Sallanches étaient immobiles. Il était trop tard pour
qu'il y ait encore du monde dehors à cette heure là, mais trop tôt pour que les villes sortent doucement
de leur sommeil. La seule effervescence semblait venir du refuge. Quand la ville dort, l'alpiniste part à
la conquête du sommet. Je me surprends alors à me demander "dans quel but ?" ...
Cette fois c'est parti ! Il fait beau, normalement rien de devrait nous empêcher d'aller au sommet.
En partant du refuge, le vent est plutôt faible et ne se sent presque pas. Depuis le Refuge du Goûter,
on monte donc les quelques mètres qui nous séparent de l'Aiguille du Goûter, puis on se dirige sur la pente
Nord-Ouest du Dôme du Goûter, qui se laisse remonter sans grande difficulté.
En chemin je regarde régulièrement ma montre GPS. Passé les 4102 mètres, je me dis que ça y est, je suis
au-dessus de la Barre des Ecrins. Après un petit
pincement au cœur en repensant à cette course qui restera sans doute la plus importante de ma vie, je me
reviens à celle que je suis en train de faire. Après tout, le Mont Blanc, ce n'est pas rien non plus !
Comme en pleine nuit on ne voyait pas grand chose, beaucoup des photos qui suivent ont en fait été prises
au retour, de jour.
Après cette première partie ascendante où il suffit "juste" de faire attention aux crevasses,
on arrive à proximité du Dôme du Goûter et l'on redescend sur le Col du Dôme. On remonte ensuite
à l'Observatoire et au Refuge Vallot.
A mi-chemin de la montée du Dôme du Goûter, le vent était devenu beaucoup plus fort et saisissant.
Mes doigts étant complétement gelés et nous avons donc fait une petite pause à Vallot pour se réchauffer.
Une fois que le vent s'était levé et que j'ai commencé à avoir vraiment froid, la question
"qu'est ce que je fais là ?" était revenue me hanter. Avancer dans le vent, sans rien voir,
avec l'angoisse de ne pas être à la hauteur pour la fin m'a fait me poser beaucoup de question
sur ma présence ici. Une fois arrivé à Vallot, les choses ne se sont pas vraiment améliorées.
J'idéalisais sûrement ce petit refuge, car une fois sur place j'ai pris un gros coup au moral.
Moi qui pensais me réchauffer tranquillement dans une ambiance joviale, la vérité fut rude.
Ce refuge ressemble plus à un squat qu'autre chose. Les déchets ne jonchent pas le sol, ils
le recouvrent. Le tout ponctué de quelques flaques de vomi. C'est une bien piètre image de la
montagne que renvoie ce refuge ... C'est en voyant ça que j'ai compris la polémique autour du
Mont Blanc. Visiblement certains feraient bien d'avoir une petite réflexion intérieure avant de se lancer
(cf le haut de cette page). Plutôt que de me réchauffer rapidement comme je l'espérais,
je me suis senti mal à l'aise, la tête rentrée dans les épaules, avec la même sensation que
lorsque l'on attend un train dans une gare d'une banlieue qui craint. L'envie de partir le plus vite
possible de cet endroit m'empêchait de me réchauffer, mais je n'était donc pas vraiment motivé non
plus pour repartir dehors ...
Après une bonne pause pour (essayer de) se réchauffer, on repart. Pour ma part, je crois que c'est
Jonathan qui m'a rappelé qu'il faudrait peut-être repartir un jour. Après une pause qui n'aura même pas
duré un quart d'heure mais qui m'aura semblé durer une éternité, nous sommes donc ressortis. Il était environ
4h20, ces quelques minutes avaient suffi pour que les premières lueurs de l'aube rendent visible la
suite de notre itinéraire. Je me suis instantanément senti requinqué ! Heureusement, ce court
moment de flottement était terminé. L'Arête des Bosses de dessinait devant nous, je n'avais plus qu'une
envie : y aller. Le vent ne me gênait plus du tout, et pour me réchauffer il m'aura simplement fallu être
"bien".
Comme à la Barre des Ecrins, nous avions dépassé
toutes les cordées. Mais avec l'arrêt à Vallot, elle nous avaient rattrapées. Quand nous sommes repartis,
seul un alpiniste solitaire était devant nous et la lueur de sa frontale sur les Bosses donnait de la vie au
paysage. Avant d'attaquer l'Arête des Bosses, nous avons laissé nos bâtons au Refuge Vallot et nous avons
sorti les piolets.
En montant l'Arête des Bosses, on arrive d'abord à la Grande Bosse, puis à la Petite Bosse. J'avais lu dans
les topos que cette arête était aérienne et j'avais peur d'avoir peur (oui c'est stupide ...). C'est
probablement l'une des raisons qui a participé à mon coup de moins bien avant d'arriver à Vallot. Avancer
dans le noir, sans voir la suite m'angoissait et m'avais mis dans de mauvaises conditions. Un fois de plus,
m'inquiéter pour rien avait failli me gâcher cette superbe course. Je ne vais pas dire que cette arête n'est
pas aérienne du tout et qu'il n'y a aucun danger, ça ne serait pas vrai, mais après tout ce que j'ai pu lire
sur cette dernière, je me suis presque dit "tout ça pour ça ?". J'ai alors repensé à mes interrogations
philosophiques à propos de si oui ou non j'avais "le droit" de faire le Mont Blanc. Visiblement je ne
m'étais donc pas lancé trop tôt et j'étais "prêt".
Quoi qu'il en soit, cette Arête des Bosses est probablement l'endroit qui m'a le plus marqué de la course.
A la descente plus encore, la perspective plongeante des alpinistes marchant sur cette arête, avec en fond
le Dôme du Goûter est vraiment magique. A ce moment là, j'étais insensible au vent et au froid, je voulais
juste rester là à contempler la vue.
Après les Bosses (vers 4550 mètres d'altitude), on est plus dans une face que sur une arête. La voie normale
remonte jusqu'à des rochers et l'on passe la rimaye, bien aménagée pour ne pas provoquer de ralentissement
dans le flot d'alpinistes presques-summiters qui montent et summiters qui descendent.
Après avoir passé la rimaye, vers 4725 mètres d'altitude, la voie normale repasse sur la crête et fonce dans
une ultime petite montée vers le sommet.
Au passage de la rimaye, l'alpiniste solitaire faisait une petite pause à l'abri du vent.
Comme à la Barre des Ecrins, nous allions
donc avoir le sommet pour nous tous seuls, au moins quelques minutes. Un vrai luxe au Mont Blanc !
La pente se radouci et on arrive alors au sommet ! Il est 5h40, le Soleil n'est pas encore levé,
mais ça ne devrait plus tarder.
On ne vois malheureusement pas grand chose, un très fin nuage localisé sur le sommet
brouille l'horizon. On ne distingue que des silhouettes de montagnes, l'horizon est floue. Entre des
lambeaux du nuage, on aperçoit quand même quelques montagnes célèbres.
5h43, après trois minutes seuls au sommet, l'alpiniste solitaire arrive à son tour. Tapage de mains et
félicitations sont de mise !
Soudain, sur l'horizon floue, une lueur perce. le Soleil se lève. Il est 5h47, ce lever de
Soleil au sommet du Mont Blanc en comité restreint est tout simplement magique.
Je repense alors à cette question "pourquoi monter là-haut ?". La réponse est alors évidente maintenant :
"pour tout ça". En voyant l'Arête des Bosses, en arrivant au sommet, en voyant le Soleil se lever depuis le
toit des Alpes, j'ai ressenti quelque chose de difficilement descriptible, comme une profonde satisfaction.
Pour quelqu'un qui ne s'est jamais essayé à l'alpinisme, cette réponse est
sans doute aussi vaseuse que le fameux "Because it is there" d'un certain Mallory, mais c'est tout ce que je
suis capable de dire ...
On pourrait rester là-haut des heures (en tout cas moi j'aurais pu !), mais il faut redescendre sans trop
tarder pour profiter de la relative stabilité matinale du Couloir du Goûter. A 5h56 nous avons donc entamé
notre redescente, à peine 16 minutes après notre arrivée. En repartant, nous avons croisé beaucoup de cordées
qui arrivaient au sommet. Tout le monde était très souriant, et à chaque fois, on se tape dans les mains et
on se félicite. L'ambiance est vraiment plaisante, ça fait plaisir.
La redescente se fait par le même itinéraire que la montée, mais comme entre temps le jour s'est levé, la
vue est complètement différente. La portion du sommet jusqu'à Vallot, par l'Arête des Bosses, est comme je
l'ai déjà dit plus haut, l'une des plus belles de l'itinéraire.
En redescendant entre Vallot et la Grande Bosse, nous avons encore une fois doublé l'alpiniste solitaire,
me permettant de faire une superbe photo.
Une fois de retour au Refuge Vallot, on n'oublie pas de reprendre les bâtons et on continue notre descente
vers le Col du Dôme. De ce dernier, on remonte alors pour repasser à proximité du Dôme du Goûter.
En repassant à proximité du Dôme du Goûter, on se retourne une dernière fois avant de quitter
définitivement de vue le Mont Blanc. La vue est vraiment inoubliable.
La redescente du Dôme du Goûter, comme la montée, ne présente pas vraiment de difficulté technique et encore
une fois, il faut surtout faire attention aux crevasses.
En revenant à l'Aiguille du Goûter, on a une superbe vue sur l'Aiguille du Midi qui, à cette heure, est à
contre-jour.
On repasse alors au Refuge du Goûter pour récupérer tout ce que l'on avait pas emmené au sommet et on en
profite pour faire une petite pause avant d'entamer la descente de l'arête du Goûter. En cherchant dans mon
sac quoi manger, je suis tombé sur une collation de circonstance : une crème Mont Blanc !
Après cette petite pause, on se dirige donc vers l'ancien Refuge du Goûter et on attaque la redescente de
l'arête du Goûter. Sur le haut, attention au câble qui en veut toujours autant à vos mains. La descente est
assez aérienne au début, mais comme à l'aller, le vrai danger vient de la traversée du Couloir du Goûter,
en bas de l'arête.
De retour à la traversée du Couloir du Goûter, on refait une petite pause d'observation et si tout va bien,
on se lance. Lors de notre retour, pas de bol : le couloir était resté relativement calme durant toute la
descente, mais au moment de traverser, ça s'est mis à parpiner sévèrement (ouf, j'ai pu placer "parpiner",
si avec ça je ne suis pas un vrai alpiniste, ... :) ). Nous avons donc dû attendre que
ça s'arrête avant de pouvoir passer. Depuis l'arête, nous avons indiqué aux deux alpinistes qui nous
précédaient quand passer, puis une fois de l'autre côté, ils nous ont dit quand nous lancer.
On revient alors sur le Glacier de Tête Rousse que l'on traverse en direction de l'arête qui redescend vers
le replat de la Baraque Forestière des Rognes.
En quittant le Glacier de Tête Rousse, on a une belle vue sur Chamonix.
On redescend ensuite à la Baraque Forestière des Rognes, puis à la gare du Nid d'Aigle.
Une fois de retour à la gare du Nid d'Aigle, il n'y a plus qu'à attendre le train. Nous sommes arrivés à
10h10 pour prendre le train de 10h50. Comme il faisait très beau, c'était l'occasion de se reposer un peu
avec la vue sur la montagne.
L'attente du train, au calme, "entre alpinistes", contrastait radicalement avec le flot qui s'est déversé
des wagons à l'arrivée du train. Contrairement au premier train que nous avions pris la veille, celui-ci,
parti à 9h30 de Saint-Gervais, était rempli de touristes venus visiter la région du Mont Blanc. On avait
soudainement la sensation d'être dans un lieu très touristique, plus à la montagne.
Pour la redescente, nous avons eu de la chance : le wagon de devant était bondé, alors que le notre était
presque vide. La redescente fut donc l'occasion "d'assimiler" cette super course au calme, de bien s'en
imprégner avant de retourner sur Terre, dans la vallée.
De retour au Col de Voza, en voyant le Mont Buet,
je me suis dit qu'il fallait vraiment que j'y aille. Drôle d'idée, le Mont Blanc n'était pas encore fini que
je voulais déjà repartir.
Après le Col de Voza, on peu admirer une dernière fois le géant que l'on vient de gravir.
Et voilà, cette fois c'est vraiment fini. On est de retour à Saint-Gervais, le Mont Blanc, c'est un vieux
rêve qui devient réalité. A mon grand soulagement, je ne ressens pas cette impression de case "Mont Blanc"
cochée. Ce n'était pas juste histoire de dire "je l'ai fait", je sais que j'y reviendrai car j'y ai pris
beaucoup de plaisir. La prochaine fois par contre, je partirai d'en bas, sans prendre ni train ni
téléphérique, pour une vraie "ascension totale".
Vous vous en doutez bien, le Mont Blanc n'est pas une randonnée ...
L'itinéraire de la voie normale du Goûter est coté PD (peu difficile). Attention aux chutes de pierres
incessantes du Couloir du Goûter. La grande fréquentation de l'itinéraire ne doit pas laisser naître
une fausse sensation de sécurité. Ne pas hésiter à faire appel à un guide.